Dialogue en RDC: Et si on passait à côté de l’essentiel ?

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Depuis plus d’une année maintenant, la vie politique congolaise est rythmée par le Dialogue. L’année 2015 a été ponctuée par la publication en février de la Feuille de route de l’UDPS, par des dizaines de déclarations des politiques, de la société civile et des partenaires sur le Dialogue, les consultations présidentielles lancées fin mai, la valse des émissaires internationaux pour faciliter la tenue de ce forum, et sa convocation fin novembre par Joseph Kabila.  Et depuis ? Toujours rien.

Faut-il y participer ou pas ? De quoi va-t-on discuter ? Quels seront son format et sa durée ? Qui est habilité à le convoquer ? Quelle base juridique pour les décisions qui vont en sortir ? Quels sont les objectifs inavoués ? Doit-il déboucher ou non sur une nouvelle transition ? Bref, plusieurs questions qui divisent aujourd’hui la classe politique entre pro et anti-Dialogue.

Points de convergence et de divergence

L’ensemble de parties prenantes est d’accord sur l’inapplicabilité du calendrier électoral global de la CENI et la nécessité d’obtenir un large consensus pour un nouveau calendrier. L’enrôlement dans le fichier électoral des « nouveaux majeurs » semble également faire l’unanimité. Selon les déclarations des uns et des autres, il faut à tout prix éviter en 2016 les violences électorales de 2006 et 2011.

Les grandes divergences tournent surtout autour du nombre d’élections à organiser ainsi que leur financement, la composition de la CENI, la nécessité d’avoir ou non une médiation internationale, et l’opportunité même d’organiser un Dialogue alors que des échanges peuvent se tenir au sein des institutions. Quant à l’enrôlement des Congolais de l’étranger, les positions sont fluctuantes.

A quelques mois de la deadline

Le processus électoral est bloqué. L’Opposition, qui ne jure que par l’alternance démocratique, accuse la Majorité de faire trainer les choses. Elle craint que la Majorité ne se serve du Dialogue et autres subterfuges pour se maintenir au pouvoir au-delà de 2016, alors que la Majorité invite les autres parties prenantes à ne pas avoir de « fixisme » sur les dates, mais à discuter d’ un compromis sur le processus électoral. Le déficit de confiance entre les acteurs est criant et les manifestations prévues dans les prochaines semaines par chaque camp politique crispent davantage la situation.

Selon la Constitution, la passation de pouvoir entre Joseph Kabila et son successeur doit se tenir le 19 décembre 2016. À onze mois de l’échéance et en considérant les différents préalables, je ne vois objectivement pas comment les délais peuvent encore être respectés. Toutes les parties prenantes portent une part de responsabilité et chaque jour qui passe consacre un peu plus le « glissement » tant décrié.

C’est probablement parce qu’ils en sont conscients que les  leaders de l’Opposition semble de plus en plus caresser l’idée d’un soulèvement populaire qui emporterait le régime Kabila. La Majorité affirme pour sa part qu’elle maintiendra l’ordre public à tout prix. Le décor pour un affrontement est planté, même si l’Eglise catholique et les partenaires tentent depuis quelques semaines de jouer l’apaisement en invitant toutes les parties à dialoguer.

Je suis convaincu que les affrontements de rue ne peuvent pas conduire à une solution durable. Ils peuvent tout au plus permettre à certains acteurs d’arriver renforcés à la table des négociations. Ma conviction est qu’un Dialogue, peu importe le nom et le format qu’il prendra, aura lieu tôt ou tard.

Et si le Dialogue passait à côté de l’essentiel?

Si le Dialogue absorbe toutes les énergies depuis plus d’une année, c’est parce qu’il est le seul moyen pacifique de relever le défi qui se pose aujourd’hui à la RDC. Plus que l’organisation d’élections crédibles et transparentes dans un climat apaisé, l’enjeu est de réussir  le premier transfert pacifique du pouvoir de l’histoire du pays. En d’autres termes, organiser le départ en douceur de Joseph Kabila de la présidence de la république.

Ne traiter que des questions électorales lors du Dialogue équivaudrait à considérer que Joseph Kabila tire son pouvoir des urnes, et ce serait une erreur. Comme je l’ai soutenu dans mon dernier article, Joseph Kabila, à l’instar de plusieurs de ses homologues de la région, tire son pouvoir de la force des armes. D’ailleurs, son opposition l’accuse souvent de gouverner par la violence et par défi. Un Dialogue qui vise à organiser son départ pacifique du pouvoir, doit donc également traiter et aboutir à un compromis sur les questions militaires et des forces de sécurité.

Il ne peut y’avoir d’alternance pacifique sans dispositions transitoires sur l’appareil sécuritaire. C’est un élément essentiel que les parties prenantes, qui se retrouveront tôt ou tard autour d’une table, devrait rajouter à leur cahier des charges.

10 Comments

  1. Prétendre que “toutes les parties prenantes portent une part de responsabilité” tend à vous situer politiquement. Vous semblez appartenir à la “mouvance” de Joseph Kabila. Soit ceux qui, en tentant de diluer la responsabilité de l’organisation des élections selon les prescrits de la Constitution, responsabilité qui reste celle de la CENI d’une part, et des Institutions de l’Etat (exécutif, législatif et judiciaire) d’autre part, visent à laver un régime dictatorial qui, n’ayant pu changer la Constitution en janvier 2015, veut jouer la partition de la ruse (ne pas organiser les élections, et convoquer un “Dialogue” en essayant d’attraèper l’entourage de Tshisekedi) et de la force brute (réprimer celles et ceux qui ne vont plus reconnaître la légimité du pouvoir après décembre 2016).

    C’est vraiment une innovation dans le MAL, qu’un pouvoir croit rester en place tout simplement en refusant d’organiser des élections prévues de très longue date – et qui doivent voir partir de la Présidence son “chef”!

    Si jeune et déjéà moralment corrompu, M. Simab Kaï?

    Nzogu bin Kyantede P R,
    Lumumbiste et Panafricain

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    • Mr Kyantede,

      Je vous remercie d’avoir pris le temps de réagir.

      Si j’estime que chaque partie prenante a une part de responsabilité, c’est parce qu’elles ont par définition chacune un rôle à jouer. Les élections se préparent sur l’ensemble d’une législature et comme vous l’avez précisé, la Majorité les a volontairement retardées. Pour ce qui est de l’Opposition, elle n’a pas joué son rôle en ne se mobilisant pas dès 2012 pour notamment exiger au Parlement que les fonds destinés à la CENI soient régulièrement versés afin d’effectuer les opérations pré-électorales. La société civile et les partenaires internationaux auraient pu profiter de la faiblesse de la Majorité après les élections catastrophiques de 2011 pour exiger que les moyens (financiers et autres) soient mis en place pour des élections crédibles en 2016.

      Donc oui, j’estime que tous les acteurs ont une part de responsabilité ne fut-ce que par manque d’anticipation.

      Pour ce qui est de ma personne, je vous rassure Mr Kyantede, je ne suis membre d’aucune “mouvance”, ni du pouvoir ni de l’opposition. Ces deux camps ont déjà suffisamment de soutiens et n’ont pas besoin du mien pour continuer leurs activités.
      Rien dans mon texte ne laisse penser que je sois d’un quelconque bord politique. Mon analyse se base uniquement sur des faits, autrement vous n’auriez pas manqué l’occasion de le relever. Pour le même texte, m’auriez-vous collé une appartenance partisane et une prétendue faillite morale si je m’appelais Bernard Fortin ? Je vous l’assure cher Monsieur, ça existe des jeunes qui pensent librement et qui partagent leurs opinions pour faire avancer la réflexion collective.

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  2. Et si le pouvoir en place n’etant pas a mesure d’organiser les elections, donc il a echoue a ses responsabilites. Dans un pays democratiques, ce gouvernement doit demissionner pour laisser place a un gouvernement de transition dirigee par le president du senat. Dans le cas contraire,il va d’abord reprimer les manifestations de la population et causer des pertes des biens tout comme des vies humaines volontairement.

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    • Mr JANVIER, je vous remercie d’avoir pris le temps de réagir.

      Vous avez raison, le gouvernement semble ne pas avoir été en mesure de remplir ses obligations et devrait en tirer toutes les conséquences. L’article 75 de la Constitution stipule qu’en «En cas de vacance pour cause de décès, de démission ou pour toute autre cause d’empêchement définitif, les fonctions de Président de la République, à l’exception de celles mentionnées aux articles 78 (nomination du Premier Ministre et du Gouvernement), 81 (nomination des ambassadeurs, officiers généraux et supérieurs des forces de sécurité, et mandataires publics) et 82 (nomination des magistrats du siège et du parquet) sont provisoirement exercées par le Président du Sénat », donc Léon Kengo.

      Dans la pratique, j’ai des doutes quant à la possibilité pour l’actuelle majorité de céder le pouvoir au président du Sénat. Premièrement, parce que le mandat du Sénat a expiré depuis 2011 et que la classe politique, telle que je la vois, acceptera difficilement ce scénario. J’imagine déjà les questions de certains: “Pourquoi le président du Sénat et pas un autre, alors qu’il n’est plus légitime?” Ensuite, parce que le rapport des forces sur place ne joue ni en faveur de Mr Kengo ni en faveur de l’Opposition.

      Ne perdons jamais de vue qu’au Congo, le pouvoir est entre les mains de ceux qui contrôlent les forces de sécurité. Tant que la question du contrôle de ces forces n’a pas fait l’objet d’un consensus au sein de la classe politique, l’alternance sera soit difficile à obtenir, soit difficile à conserver (l’exemple du Congo-Brazza en 1997 est éloquent).

      Enfin, pour ce qui est des violations des droits de l’homme, vous avez totalement raison. Chaque jour, la tension monte d’un cran et comme nous l’avons vu récemment, le risque de pertes en vies humaines, du fait de l’action des forces de sécurité, est malheureusement élevé.

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  3. De 2001 à 2005 le chef de l’exécutif a enmagasiné de faramineuses sommes pour les élections de 2006 parce qu’il devait se présenter,bien entendu.De 2006 à 2010,il a encore encaissé scandaleusement du fric pour les élections de 2011 parce qu’il devait se représenter.
    Dire aujourd’hui qu’il n’y a pas de moyens financiers pour l’organisation des élections est très peu démocratique.Je pense que le chef, vu tout ce qu’il a réalisé en RDC,mérite des honneurs et une haute gloire même après son mandat.

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    • Mr Tshibwabwa,

      Je vous remercie d’avoir pris le temps de réagir.
      Vu le début de votre commentaire, je vous avoue que j’ai du mal à savoir si votre conclusion est ironique ou pas.

      Cependant, je pense en effet que le statut qui sera réservé à Joseph Kabila à l’issue de sa présidence est une autre question que la classe politique devra rapidement traiter. Plusieurs députés et hommes politiques ont déjà soulevé cette question. L’article 104 de la Constitution stipule que : « Les anciens Présidents de la République élus sont de droit sénateurs à vie. » Est-ce suffisant ? Joseph Kabila voudra-t-il des garanties ou privilèges supplémentaires ? A la classe politique de trancher, l’essentiel étant la sauvegarde de la paix et de la stabilité.

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  4. Avec ce glissement se prépare, et aussi la légitimité de Kengo, président du sénat, c’est vrai le mandat de sénateurs est déjà expiré. J’estime que la RDC n’aura plus de constitution, parce que toute la constitution d’ici le mois de novembre sera voilée et nous aurons un problème de dirigeants. Je vois la RDC sombrer dans la guerre de leadership, l’économie dans le chaos, les investisseurs pliés bagages, les détournements et la corruption prendre domicile dans toutes les institutions. Bref; retour à l’époque de Mobutu vs Kabila père.

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    • Cher Kateke, je vous remercie d’avoir pris le temps de réagir.

      Je suis moins pessimiste que vous ne l’êtes sur l’avenir de la RDC, même dans le cas où la présidentielle et les législatives ne sont pas organisées en novembre 2016.
      Les institutions ne seront certes plus légitimes (comme c’est déjà le cas pour le Sénat et les provinces), mais toujours légales, et ce ne serait pas la première fois que ça arrive en RDC. Le tout serait de faire en sorte que cette situation ne s’éternise pas.
      Les délais constitutionnels dépassés, la classe politique s’accordera vraisemblablement pour une période de transition qui devrait conduire à l’organisation d’élections. Même dans ce cas de figure, le plus important doit être à mon avis la sauvegarde des grands principes de la Constitution (les deux mandats présidentiels, la séparation des pouvoirs, etc.) Depuis qu’elle est en vigueur, plusieurs dispositions de la Constitution n’ont pas toujours été scrupuleusement respectées (passage aux 26 provinces, mise en place de la Cour constitutionnelle, etc.), mais cela ne l’a pas empêché de continuer de jouer son rôle de texte fondamental. A mon humble avis, aucune disposition transitoire ni accord politique provisoire ne devrait conduire à la révision des grands principes de la Constitution.

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